Interviews - 9 novembre 2018

"La lutte contre le changement climatique est un enjeu moral", entretien avec François Gemenne

désert aride

Ecrit par Tristan Lebleu 3 min de lecture

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Les effets du changement climatique sur la société, l'économie et l'environnement sont souvent évoqués à l'avenir. Cependant, le changement climatique a déjà un impact direct sur de nombreuses personnes, qui sont contraintes de fuir la dégradation de leur environnement. Ce sont des "réfugiés climatiques". Depuis près de 15 ans, François Gemenne, chercheur et professeur, étudie les effets du changement climatique sur les flux migratoires.

Qu'est-ce qu'un réfugié climatique ?

Ce terme désigne toute personne qui est contrainte de quitter son lieu de résidence en raison de la dégradation de son environnement. Cette dégradation de l'environnement peut être brutale, notamment en raison de catastrophes naturelles, ou plus lente, comme la montée du niveau des mers, ou encore la dégradation progressive des terres.

Peut-on vraiment isoler les facteurs climatiques de migration des autres facteurs ?

Non, ils sont en effet souvent aussi liés à des facteurs politiques ou économiques. Il est donc difficile de définir les réfugiés environnementaux comme une catégorie spécifique indépendante des autres. Aujourd'hui, les facteurs de migration sont de plus en plus imbriqués et il est difficile d'isoler l'un d'entre eux. De plus, la notion de réfugié climatique n'existe pas en droit international et donc ce terme, qui est parfois utilisé dans le vocabulaire courant, ne correspond pas à une réalité juridique.

Autant de personnes considérées comme des réfugiés économiques pourraient également être considérées comme des réfugiés climatiques ?

C'est exact. En Afrique subsaharienne, la moitié de la population dépend directement de l'agriculture de subsistance comme principale source de revenus. Cela signifie que certains migrants économiques arrivant en Europe (en Italie, en Grèce, en Espagne...) sont également des migrants environnementaux. C'est une vision plutôt occidentale que de séparer les questions environnementales et économiques. Nos salaires ne dépendent pas des conditions météorologiques du mois. Au contraire, pour beaucoup de gens, toute variation de température, ou de précipitations, a un impact immédiat sur leurs ressources économiques. Ils sont directement dépendants de l'environnement.

Combien de personnes sont obligées de se déplacer pour des raisons climatiques ?

Chaque année, environ 25 millions de personnes sont déplacées en raison d'une dégradation soudaine de l'environnement. Il y a trois fois plus de personnes déplacées par des catastrophes naturelles que par la guerre et la violence. À ce chiffre, il faut ajouter ceux qui sont déplacés par une dégradation plus lente de leur environnement. Mais ces mouvements sont plutôt courts et très dispersés dans le temps et l'espace. Ils ne sont donc pas comptabilisés par les statistiques. En ce qui concerne les tendances futures, la Banque mondiale a publié au début de l'année une étude selon laquelle le nombre de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays - les personnes qui migrent à l'intérieur de leur propre pays - augmenterait de 140 millions d'ici 2050 en raison de la dégradation liée au changement climatique.

Où migrent les réfugiés climatiques ?

La plupart des migrations liées à l'environnement sont internes. Dans le cas des migrations liées à l'environnement, les personnes ne cherchent généralement pas à quitter leur pays, mais plutôt à trouver un abri. De plus, en général, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, la plupart des migrations mondiales ont lieu à l'intérieur des pays. Une autre idée fausse courante concernant les migrants est que ce sont toujours les pauvres qui vont le plus loin alors qu'en réalité c'est exactement le contraire. Se déplacer nécessite beaucoup de ressources. Par conséquent, ce sont souvent les plus pauvres et les plus vulnérables qui se retrouvent piégés.

Y a-t-il des conflits liés à ces déplacements ?

Oui, tout à fait. Il y a un lien de plus en plus fort entre les questions climatiques et les questions de sécurité. Il y a deux phénomènes : les migrations provoquent des problèmes de sécurité et des conflits, et les conflits liés au climat provoquent également des migrations et des déplacements de population. C'est particulièrement le cas dans la Corne de l'Afrique, par exemple en Somalie ou au Sud Soudan, où de nombreux conflits sont liés à des questions de ressources, qu'il s'agisse de nourriture ou de terres.

Quelles sont les principales populations touchées par les effets du changement climatique ?

Ceux qui polluent ne sont généralement pas ceux qui sont touchés par le changement climatique. A cet égard, il y a une grande injustice, tant géographique que générationnelle. Il n'y a pas de relation directe entre les émissions de gaz à effet de serre d'un pays et les effets du changement climatique que ce pays connaîtra. Il n'y a pas non plus de relation directe entre les émissions de gaz à effet de serre d'une génération et les impacts du changement climatique que cette génération connaîtra. Il y a un écart d'environ 50 ans entre les émissions de gaz à effet de serre et leur impact sur le climat. Nous ne devons donc pas agir pour nous-mêmes mais pour les autres au-delà de nos frontières. Cela fait de la lutte contre le changement climatique une question morale.

Au-delà de la lutte contre le changement climatique, quelles solutions peuvent aider les réfugiés climatiques ?

Plusieurs avancées notables ont été réalisées dans ce domaine au cours des dernières années. Depuis 2012, la Norvège et la Suisse ont adopté l'initiative Nansen, du nom de l'explorateur polaire qui fut également le premier commissaire des Nations unies pour les réfugiés. Cette initiative intergouvernementale consistait en une consultation avec les gouvernements de différents pays pour les interroger spécifiquement sur leurs besoins et leurs éventuels engagements. Le résultat a été un catalogue de mesures et de bonnes pratiques signé par 110 États en octobre 2015. Cette initiative a donné naissance à la Plateforme sur le déplacement de personnes en cas de catastrophe, une organisation internationale chargée de veiller à l'application de ces principes.

Ecrit par Tristan Lebleu le 9 novembre 2018

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