Opinion - 31 mai 2017
Ecrit par Bertrand Piccard 4 min de lecture
Quand je passais mes vacances dans les Alpes suisses dans les années 1960, tous les habitants du village emportaient leurs détritus dans leur voiture pour les déverser dans une vallée où coulait une petite rivière. Les ordures brûlaient nuit et jour, dégageant de la fumée et une horrible odeur. Mais tout cela était parfaitement légal. Pourquoi cela ne se fait-il plus ? Parce qu'aujourd'hui c'est interdit.
Pourquoi les entreprises peuvent-elles alors toujours émettre autant de carbone qu'elles désirent ? Pourquoi ce traitement de faveur ? En règle générale, l'industrie basée sur les combustibles fossiles ne paie rien pour les répercussions de ses activités sur la société ; ces “externalités” ne figurent pas dans le prix. En réalité, leur coût – entre autres pollution atmosphérique, dépenses de santé plus élevées, acidification des océans – se répercute sur les consommateurs, quoique de manière indirecte. Cela semble une bien mauvaise affaire pour nous. Le coût nécessaire à la gestion du CO2 devrait être inclus dans son prix, comme pour tout autre déchet que nous produisons. Mettre un prix sur le carbone ne serait pas ajouter une nouvelle taxe, mais reviendrait simplement à corriger une vieille injustice.
En 2015, le FMI a estimé que les industries basées sur les combustibles fossiles coûteraient dans les 5,3 trillions de dollars si le coût des externalités était inclus dans le calcul. Les mécanismes de fixation du prix du carbone ont pour but de corriger cette défaillance du marché. Dans ces circonstances, il est d'autant plus impressionnant que les énergies renouvelables soient si compétitives. Il est important que nous déterminions le vrai prix du carbone ; il ne s'agit pas de subventionner les énergies renouvelables mais plutôt d'uniformiser les règles du jeu.
Pour l'instant, seules 12 % des émissions de gaz à effet de serre sont soumises à la tarification du carbone, dans 40 gouvernements et 23 villes ou autorités locales. Cette mesure a pris de l'ampleur depuis son approbation dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat. D'aucuns considèrent d'ailleurs l'acceptation de ce point, le tout dernier sur lequel les participants devaient se mettre d'accord, comme un miracle.
En soi, ce n'est pas tant la question de savoir si ou quand il faut tarifer le carbone, mais à quelle hauteur. Les entreprises pressent aujourd'hui les gouvernements de fixer un prix, car l'incertitude rend les investissements difficiles. Quelque 500 entreprises ont d'ores et déjà déterminé leur propre prix du carbone afin de le prendre en considération dans leurs décisions d'investissement, et 700 autres entreprises devraient les rejoindre avant la fin de l'année 2018.
La réorganisation de notre économie mondiale en vue de la rendre plus propre engendrera-t-elle des coûts élevés ? Non, car c'est une fabuleuse opportunité pour nos économies. Après tout, interdire aux gens de jeter leurs détritus dans la vallée et les faire payer pour leur traitement a fait naître une industrie dynamique et rentable appelée recyclage. Je prédis la même chose avec la tarification du carbone. Elle incitera à contenir, à réduire ou à éliminer les émissions nocives.
Et que faire des revenus ainsi générés ? Personnellement, je rêve d'un système où chaque personne paierait en fonction de la quantité de carbone générée et où les revenus perçus seraient redistribués à tous de manière égale. Avec un prix du carbone qui resterait élevé, les plus gros pollueurs seraient incités à réduire leurs émissions de carbone aussi vite que possible et ceux qui polluent le moins en seraient financièrement récompensés. Ainsi, vous paierez par exemple 70 $ pour 70 unités de carbone, tandis que votre voisin paierait 30 $ pour 30 unités. Sur les 100 $ perçus, 50 $ seraient redistribués à chacun de vous. Vous aurez donc perdu 20 $ et votre voisin gagné 20 $. Un tel système profiterait à ceux qui polluent le moins et récompenserait ceux qui font des efforts pour réduire rapidement leurs émissions. Dans un tel système, les bénéfices diminueraient avec le temps, mais les entreprises et les individus seraient incités à réduire rapidement leur empreinte carbone.
En Ontario, au Canada, on projette d'utiliser les revenus générés d'une manière différente : tous les bénéfices issus du système d'échange de droits d'émissions seraient versés sur un nouveau Compte pour la réduction des gaz à effet de serre, dans le but de financer des programmes de réduction d'émissions, notamment pour aider propriétaires et entreprises à faire des économies d'énergie. Des mesures telles que le développement des transports en commun, l'innovation dans le domaine des technologies propres pour l'industrie, les incitations à l'achat de véhicules électriques et la modernisation de logements sociaux contribueront en outre à stimuler l'économie et à créer des emplois.
Il est temps de mettre l'accent sur le coût réel des combustibles fossiles et de corriger la défaillance du marché afin de rendre correctement compte de leur impact. La tarification du carbone nous permettra de commencer à rembourser le crédit sur lequel nous vivons depuis trop longtemps, pour ne pas laisser les générations futures régler entièrement l'addition. Lorsque nous paierons finalement le prix juste pour le carbone, l'économie sera plus propre, écologique mais surtout logique.
Ecrit par Bertrand Piccard le 31 mai 2017