Opinion - 4 décembre 2018

Le coût du renoncement – une lettre personnelle aux négociateurs de la COP24 par Bertrand Piccard

discours de bertrand piccard

Ecrit par Bertrand Piccard 4 min de lecture

Chers négociateurs de la COP24,

Pendant ces deux prochaines semaines, à Katowice, en Pologne, vous aurez à décider des mesures urgentes à prendre pour assurer la qualité de vie future de l'humanité sur Terre. C'est là tout l'enjeu de la COP24. Vous comprenez mieux que quiconque les conséquences dramatiques d'une augmentation, même minime, de la température mondiale. L'Accord de Paris, dont le monde entier s'est félicité en 2015, doit être considéré comme un début et non comme une fin en soi. Il pourrait bien rester lettre morte si nous n'avons pas le courage politique de faire de cet engagement international une réalité opérationnelle. C'est maintenant à vous de définir les moyens de le mettre en œuvre.

Vous devez accepter que cette énorme responsabilité soit entre vos mains. Vous pouvez bien sûr vous opposer et rester campés sur vos positions. Ou alors vous pouvez agir en héros et relever le défi de créer le cadre qui nous permettra de décarboner notre économie le plus rapidement possible. Le choix est difficile, entre stagnation et progrès, entre timidité et audace. Quel sera le vôtre ?

Je ne vous demanderais jamais de faire ce choix s'il impliquait des sacrifices pour vos pays, vos populations ou vos économies. En effet, grâce aux progrès technologiques, la lutte contre le réchauffement climatique n'est plus une contrainte. Bien au contraire : c'est aujourd'hui une énorme opportunité, comme je le constate jour après jour. Depuis le succès du premier tour du monde en avion solaire, j'ai rencontré, à travers la Fondation Solar Impulse, des centaines d'entrepreneurs et d'innovateurs proposant des solutions dans les domaines de l'eau, de l'énergie, de la mobilité, de l'urbanisme, de l'agriculture et de l'industrie. Et si les nouveaux systèmes, produits et technologies sur lesquels sont fondées ces solutions n'étaient pas financièrement viables il y a dix ans, ils le sont aujourd'hui. C'est ainsi que, dans les pays les plus pauvres comme dans les pays les plus riches, nous pouvons créer des emplois et de la richesse, réduire les inégalités, accroître la stabilité sociale et stimuler la croissance tout en protégeant l'environnement. En d'autres termes, nous pouvons parvenir à une croissance propre et qualitative, clairement préférable au statu quo actuel. Le remplacement d'infrastructures dépassées et polluantes par des infrastructures modernes et performantes est au XXIe siècle la plus grande opportunité du secteur industriel.
 
Saviez-vous que les bâtiments peuvent maintenant être si bien isolés qu'ils sont neutres sur le plan énergétique ? Ou que l'énergie nécessaire au chauffage peut être divisée par quatre et celle nécessaire à l'éclairage public et privé par dix ? Nous sommes même capables aujourd'hui de dessaler l'eau de mer avec l'énergie solaire. Des systèmes de contrôle intelligents peuvent être installés pour équilibrer la production, le stockage et la consommation d'énergie au point de réduire de moitié la consommation d'une population, le plastique biodégradable peut être produit à partir de protéines de lait, les émissions de méthane de vache peuvent être réduites de 30 % avec un simple additif alimentaire et, en attendant que les véhicules électriques deviennent la norme, nous pouvons réduire de 80 % les émissions de particules des moteurs à combustion interne grâce à un système d'amélioration de la combustion. De plus, dans la moitié des pays du monde, l'énergie solaire et éolienne produit déjà de l'électricité jusqu'à trois fois moins cher que le gaz, le charbon et le pétrole.
Ce ne sont là que quelques exemples de technologies propres. Mon objectif est d'en présenter 1000, à vous et aux décideurs du monde entier, afin de prouver que les solutions existent déjà et de vous encourager à adopter des politiques énergétiques et des objectifs environnementaux bien plus ambitieux. Vous aurez bientôt à vous prononcer sur vos “contributions déterminées au niveau national” (CDN), qui sont la pierre angulaire de la lutte contre le changement climatique. Ces CDN témoigneront de votre engagement à prendre en compte ces solutions. Alors, voyez loin et soyez audacieux !

Innovateurs et entrepreneurs du monde entier s'efforcent d'inventer des solutions aux changements climatiques et de bâtir une société plus efficiente, plus propre et plus juste. Leurs solutions permettent de réduire les coûts, d'augmenter les performances et d'améliorer les conditions de vie sans recourir aux combustibles fossiles. Mais tant que nous accepterons comme norme la pollution, le gaspillage et les émissions de CO2 illimitées dans l'atmosphère, qui investira dans ces nouvelles solutions ?

Vos décisions sont fondamentales non seulement contre le changement climatique, mais aussi contre la pollution. Chaque année, la toxicité de l'air tue 6,2 millions de personnes et en fait souffrir encore davantage. C'est inacceptable, tant du point de vue humain que du point de vue des coûts de santé publique. Ce serait un tel gâchis de ne pas agir, et personne ne vous le pardonnerait, à commencer par vous-mêmes.
Il est donc essentiel que vous changiez les règles du jeu. Vous avez la responsabilité de mettre ces solutions sur le marché en modernisant le cadre réglementaire à tous les niveaux : protection de la biodiversité, production agricole, procédés industriels et consommation énergétique. Le pouvoir d'accélérer leur déploiement est entre vos mains. Je suis convaincu que nous pouvons décarboner nos économies bien avant 2050. Mieux encore, nous avons l'opportunité d'une transition vers une croissance durable à l'échelle mondiale. Vous devez y voir un programme unificateur, une occasion unique de réunir les pays du monde entier autour d'une vision commune.
Je sais que le changement fait encore peur à beaucoup de monde. Certains ne croient toujours pas que le changement climatique soit un phénomène d'origine humaine. Il est essentiel de parler leur langue et de leur dire que les solutions technologiques d'aujourd'hui sont logiques autant qu’elles sont écologiques. Même si le climat n'était pas en danger, l'adoption de technologies propres serait tout aussi judicieuse économiquement et financièrement.

Chers négociateurs de la COP24, j'espère que vous serez à la hauteur de la tâche et que vous intégrerez dans vos discussions l'existence de solutions rentables. Il ne tient qu'à vous d'être du bon côté de l'histoire.

Dr. Bertrand Piccard
Initiateur et Président de la Fondation Solar Impulse

Texte initialement publié dans Le Monde

Ecrit par Bertrand Piccard le 4 décembre 2018

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