Opinion - 17 janvier 2018
Ecrit par Bertrand Piccard 4 min de lecture
Pourquoi sommes-nous si exigeants quand il s'agit du dernier smartphone et si peu regardant quand il s'agit des nouvelles technologies de l'énergie ? Aujourd'hui, nous disposons de technologies qui permettent de faire voler un avion jour et nuit sans carburant, mais aussi d'électrifier les moyens de transport et d'isoler correctement les logements afin de réduire considérablement le gaspillage énergétique et de développer des procédés industriels bien plus efficients.
Ces technologies existent mais restent confinées dans les start-ups, les laboratoires, les universités et parfois même dans les grandes entreprises, sans jamais atteindre les utilisateurs finaux. Pourquoi ?
Notamment parce que l'on ne fait que pousser l'innovation (“technology push”) en offrant des subventions provenant de l'argent public. C'est bien, mais cela n'a jusqu'à présent servi qu’à rapporter de bonnes idées. Si elles ne répondent pas à un besoin, elles s'effondreront au contact du marché. Si nous continuons d'autoriser à polluer, comme c'est le cas aujourd'hui, la plupart des innovations propres resteront inutilisées. Ainsi, il faut plutôt créer les conditions permettant de tirer l’innovation (“market pull”), c’est-à-dire innover en partant des besoins, et l'un des moyens d'y arriver est d'instaurer une réglementation ambitieuse.
Nous devons identifier le paradigme qui nous empêche d'aller de l'avant et le modifier. Ce faisant, nous devons comprendre que notre système libéral, si réfractaire aux régulations, bénéficiera d'un cadre juridique qui nous contraindra à utiliser des technologies plus innovantes et efficientes. Non seulement pour protéger l'environnement, mais aussi pour créer des emplois et stimuler le développement économique.
Pour ce faire, nous devons reconnaître que la protection de l'environnement est désormais rentable, un autre changement de paradigme. Lorsque ce n'était pas le cas, la protection de l’environnement était simplement ignorée. Il est aujourd’hui financièrement viable d'introduire un cadre réglementaire pour l'utilisation de l'efficience énergétique et des énergies renouvelables, les technologies propres n’étant pas coûteuses ni néfastes pour l'industrie, bien au contraire.
Par exemple, une nouvelle centrale photovoltaïque en Arabie saoudite produit aujourd'hui de l'électricité à 1,8 cents le kWh. Au Mexique, ce sera 1,77 cents. Soit 10 à 15 fois moins cher que ce que nous payons en Europe pour de l'électricité polluante.
Quant à l'efficience énergétique, elle est si incroyablement rentable – un investissement estimé à 25 trillons de dollars au cours des quinze prochaines années pour l’infrastructure – que même les entreprises soumises à une taxe carbone seront plus rentables que celles qui en sont exemptées, car elles sont obligées d'être plus efficientes, d'économiser de l'énergie, de mettre en œuvre de nouvelles technologies.
Remplacer les systèmes désuets par des systèmes propres, modernes et efficients représente la plus grande opportunité de marché du siècle pour l'industrie.
Cependant, les marchés aiment deux choses ; la certitude et, en particulier dans des secteurs importants comme l'énergie, le statu quo. Ils s'opposent ainsi aux bouleversements et à l'incertitude qu'apporte l'innovation. L'absence d’un système de réglementation global qui favorise la croissance économique propre peut en réalité nourrir l'incertitude. Les entreprises savent qu’un prix du carbone sera bientôt mis en place, mais ils ignorent quels en seront la forme et le montant. Elles adoptent par conséquent une attitude attentiste, demeurant hostiles au changement. Le marché est bloqué et, avec lui, l'innovation.
L'“équilibre de Nash” – théorie du mathématicien John Forbes Nash fils – aide à comprendre pourquoi les acteurs d'un marché prendront la meilleure décision pour eux-mêmes, sur la base de ce qu'ils pensent que feront les autres, et pourquoi ils n’ont rien à gagner en modifiant uniquement leur propre stratégie. Mais si les organes de régulation peuvent créer des lois qui reflètent avec exactitude le coût d'utilisation de vieilles technologies polluantes et inefficientes, et montrer le potentiel des solutions propres, ils auront l'opportunité de dissiper cette incertitude et de créer les conditions permettant d’apporter l'innovation sur le marché.
La science est fiable, les technologies existent, les finances se mettent progressivement en place et la volonté politique est en grande partie là. Maintenant, il ne nous manque plus que des mesures.
Près de 1 400 entreprises tournées vers l'avenir ont déjà pris l'initiative de fixer un prix sur le carbone en interne pour prendre leurs décisions d'investissement et réduire les émissions de GES. Parmi elles, plus de 100 sont classées Fortune Global 500, avec des revenus annuels de 7 000 milliards de dollars. Ces entreprises courageuses vont de l'avant malgré l'incertitude. La réglementation doit tirer parti de cette impulsion.
Il peut sembler plutôt paradoxal de demander davantage de réglementation pour stimuler la croissance économique. Mais lorsque la réglementation peut stimuler l'innovation et encourager les gens à se projeter dans le futur plutôt qu'à s'accrocher au passé, je pense que cela en vaut la peine.
Ainsi, je m'adresse aux régulateurs : faites preuve de courage, fixez un cadre réglementaire en phase avec l'évolution de la technologie et changez les règles du jeu. Que se passera-t-il lorsque des règles vraiment ambitieuses en matière de politique énergétique et de protection de l'environnement seront mises en œuvre ? Toutes les innovations, toutes les solutions, toutes les nouvelles technologies seront promues, gagneront le marché et seront mises à profit.
Ecrit par Bertrand Piccard le 17 janvier 2018