Opinion - 13 novembre 2021
Ecrit par Bertrand Piccard 4 min de lecture
Nicolas Galudec a la responsabilité, au nom de « l'équipe Europe », de négocier les dispositions de l'Accord de Paris relatives au transfert de technologies. Il a rejoint l'équipe de négociation de l'Union européenne sur le climat il y a un an. Avant cela, il négociait le Brexit. Alors que ces dernières pouvaient s'éterniser sans réel délai, à Glasgow, les négociateurs doivent nécessairement parvenir à un accord final au terme de ces deux semaines. C'est court, mais présente l'avantage de mobiliser les parties prenantes pour forcer l'obtention d'un résultat.
Le travail de Nicolas n'a pas commencé le premier jour de la COP. Les mois précédents ont fait l'objet d'un alignement des positions des 27 États membres de l'Union européenne. Beaucoup ignorent que l'UE exprime sa position dans les négociations climatiques en tant que bloc uni. Quand Nicolas, ou un de ses collègues européen, s'exprime à la table des négociations, il le fait non pas au nom d'un État membre mais au nom de l'Union européenne.
Il nous raconte ses journées de 15h avec un enthousiasme non feint. Est-il fatigué ? Non, l'adrénaline le stimule. Son mandat de négociateur porte sur la disposition de l'Accord de Paris qui demande aux pays développés de prendre toutes les mesures possibles pour promouvoir et financer le transfert de technologies climatiques vers les pays en développement. Après une réunion de coordination avec ses collègues des Etats membres en début de matinée, Nicolas rejoint les négociateurs des 197 autres nations présentes les « Parties » - pour une session plénière formelle. Une heure par session, pas une minute de plus, pour faire le point sur l'avancée des discussions. Ensuite, le Président de la COP renvoie tout le monde en groupes de travail informels qui prennent le relais pour faire avancer les pourparlers jusqu'à la prochaine réunion formelle.
Dans un tel processus, travailler avec des partenaires qui partagent son opinion est nécessaire, mais il est essentiel d'intégrer ceux qui sont absents de ces groupes informels. Ce sont eux qui peuvent par la suite faire avorter les négociations en déclarant qu'ils n'étaient pas présents. Nicolas nous avoue que ce fut la stratégie adoptée notamment par un des pays. La politique de la chaise vide a plusieurs fois mis en péril les avancées acquises dans les discussions en sous-groupes. Malgré les tentatives de sabotage de certains, les parties du sous-groupe ont réussi à se mettre d'accord sur un texte final. La session plénière avec tous les ministres permet ensuite de prendre acte des textes validés dans les sous-groupes.
Le processus des Nations Unies sur le Climat est un processus rigoureux qui limite tout marchandage entre les différents chapitres. On ne peut pas lâcher quelque chose d'un côté en espérant obtenir un avantage ailleurs. Une méthode très rigide, semble-t-il, mais solidement ancrée dans le droit international. Il n'y a aucune place pour la fantaisie car tout est codifié. Bien qu'il soit lent et laborieux, avec d'âpres discussions autour de chaque mot, de chaque virgule, la beauté de ce processus est qu'il limite tout retour en arrière. Ce sont des seuils minimaux qui sont chaque fois fixés, et sur lesquels on pourra ensuite bâtir des extensions.
Dans les tous derniers jours, ce sont les dirigeants politiques qui occupent le devant de la scène pour accepter ou non les détails de la déclaration finale tant attendue, et qui intègre tous les éléments que les négociateurs ont soigneusement assemblés, comme celui de Nicolas. Voilà pour les décisions formelles, qui ne peuvent être prises qu'à l'unanimité des parties. Malgré la bonne volonté de certains, la recherche de consensus va être alignée sur la position de celui qui résistera le plus. Nicolas nous rassure tout de même en précisant que peu de pays ont véritablement intérêt à trop tirer sur la corde, car un échec global des négociations leur ferait perdre des avantages ailleurs. De plus, les nations les plus réticentes sont enclines à faire au moins quelques concessions au nom de la coopération internationale pour ne pas s'isoler de la scène mondiale.
Si quelques pays veulent avancer plus vite et laisser d'autres à la traine, il ne reste que la possibilité de construire des alliances informelles. C'est ainsi que des coalitions se sont formées à Glasgow entre plusieurs leaders pour accélérer des actions sectorielles particulièrement fructueuses, comme la réduction du méthane, l'arrêt de la déforestation, l'accélérationde l'adoption de technologies propres et l'arrêt du financement des énergies fossiles à l'étranger. Ceux qui accusent les COP d'être inefficaces doivent savoir que ces coalitions ne sont possibles que parce qu'il existe un échange régulier entre les parties dans le cadre des Nations unies.
Ces rendez-vous réguliers sont donc essentiels pour faire évoluer la situation et obtenir des actions multilatérales concrètes. LesCOP servent de jalons annuels pour se mettre d'accord plus rapidement grâce au cadre des Nations Unies. Pour Nicolas, le contact humain entre négociateurs est capital et peut débloquer nombre de situations délicates. L'humain reste donc le seul à pouvoir sauver l'humanité...
Ecrit par Bertrand Piccard le 13 novembre 2021