Opinion - 18 décembre 2023
Ecrit par Bertrand Piccard 2 min de lecture
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D'ailleurs, le mot qui revient le plus souvent dans les commentaires est "historique", comme en témoigne l'ovation réservée à son président, Sultan Al Jaber. Conscient d'avoir le poids de l'attention du monde, il savait que l'échec n'était pas envisageable. Il faut dire que la présidence émiratie n'a pas ménagé ses efforts et n'a pas démérité, de quoi répondre aux nombreuses critiques qui l'ont condamnée dès le départ.
Il serait simpliste de classer les acteurs impliqués en bons et en méchants. Il s'agit d'une tragédie grecque, pas d'un scénario hollywoodien. Certains se sont engagés corps et âme dans la lutte contre le changement climatique, d'autres, plus hypocritement, espèrent secrètement que l'issue des négociations ne les poussera pas trop loin. Il y a aussi ceux qui continuent à polluer, blâmant le laxisme ambiant, et ceux qui ont l'audace de soutenir les énergies fossiles.
Imaginez-vous ministre d'un pays dont l'économie dépend à 85 % des hydrocarbures. Signeriez-vous l'arrêt de mort de votre pays à la COP28 ? Le format de l'ONU exigeant un consensus, nous nous retrouvons souvent avec le plus petit dénominateur commun.
Pourtant, pour la première fois, les combustibles fossiles figurent dans le texte final d'une COP. Bien que la fameuse "élimination progressive" des combustibles fossiles ne soit pas explicitement demandée, la formulation fait clairement écho à la nécessité de se libérer en "abandonnant les combustibles fossiles" afin de maintenir l'objectif de 1,5°C, que certains étaient même prêts à abandonner. C'est le mieux que nous puissions obtenir.
Les solutions pour la décarbonisation sont présentées de manière à satisfaire toutes les parties concernées : un triplement des énergies renouvelables et un doublement de l'augmentation annuelle de l'efficacité énergétique. La formulation vise à séduire les partisans des technologies propres, du captage et de la séquestration du carbone (CSC), et à satisfaire les producteurs de gaz avec une transition vers des carburants à faible taux d'émission. Le document aborde également la question de l'énergie nucléaire pour ceux qui pensent que son prix restera compétitif. Le méthane fait également l'objet d'une mention spéciale, ainsi qu'un certain nombre d'autres questions telles que l'abandon des subventions aux combustibles fossiles qui ne sont pas conçues pour aider les pays les plus pauvres, et la mobilisation de fonds pour les pays en développement.
Pour parvenir à ce consensus, il est nécessaire d'accepter un calendrier différencié en fonction du niveau de développement et de dépendance des pays vis-à-vis des hydrocarbures, d'où la formulation d'une transition "juste, ordonnée et équitable". Lors du Majlis extraordinaire, cette tradition bédouine qui voit tous les ministres assis en cercle sans hiérarchie, la Bolivie a exhorté les parties présentes à prendre en compte les différences nationales.
Comme l'a dit le sultan Al Jaber : "Un accord ne vaut que par sa mise en œuvre", c'est là qu'il faut se concentrer sur la réalisation des objectifs de ceux qui, à juste titre, voulaient beaucoup plus.
Puisqu'il est évidemment difficile de freiner rapidement la production de pétrole, concentrons-nous plutôt sur la réduction de la consommation. Cela dépend entièrement de nous, qui brûlons tout ce pétrole. Et c'est là que nous avons le plus à gagner.
Pour concilier action climatique, protection de l'environnement, création d'emplois, développement économique et justice sociale, engageons nos sociétés dans les énergies renouvelables et l'efficacité, en optimisant les ressources et en minimisant les déchets. Modernisons notre monde pour mettre fin à l'incroyable consommation qui justifie toute cette production d'énergie. La décarbonisation deviendra alors la conséquence logique de cette modernisation : un bénéfice plutôt qu'un sacrifice économique.
C'est ce qu'il faut retenir de la COP28.
Ecrit par Bertrand Piccard le 18 décembre 2023