Actualités - 1 décembre 2023
Ecrit par Bertrand Piccard
Franchement, peut-on craindre que la COP28 soit un pire échec que les précédentes ? Quand on voit ce qu’il s’est passé ces dernières années, pourquoi vouloir boycotter spécialement celle de Dubaï ? Certaines conférences sur le climat eurent déjà lieu dans des pays charbonniers, la Pologne et l’Allemagne. A l’exception de Paris en 2015, le monde attendait des décisions ambitieuses qui ne sont jamais venues. A Glasgow, l’Inde et la Chine firent capoter la déclaration finale en exigeant de remplacer à la dernière minute « sortir du charbon » par « diminuer le charbon ».
Alors oui, cette fois c’est dans un pays pétrolier qu’auront lieu les débats, sous l’autorité du CEO de la compagnie pétrolière ADNOC. Faut-il désespérer plus que d’habitude ? Pas forcément. Le baril semble plein, mais quand on y regarde de plus près, il pourrait se vider un peu. Sultan Al Jaber est également président de Masdar, l’agence émiratie d’investissement dans les énergies renouvelables, qui propulse les énergies propres dans 40 pays du monde. Devant cette double casquette, suis-je trop optimiste en souhaitant que Masdar pèsera plus lourd qu’ADNOC ? Trouvera-t-il le courage de négocier en ce sens avec ses semblables ?
Einstein disait que la folie consistait à faire toujours la même chose en s’étonnant que le résultat ne soit jamais différent. J’espère que cette fois-ci, le monde essayera autre chose. Après l’échec du narratif de la décarbonation qui fait craindre à nombre de pays une diminution de leur développement économique, et qui a engendré une résistance farouche à l’action climatique, il y a d’autres angles d’approche possibles à Dubaï.
Les pétroliers pourraient lutter contre la concurrence du charbon. En voulant le remplacer par du gaz, ils font pleurer les écologistes, mais sourire le climat. C’est une solution acceptable pour des pays comme la Chine.
Un autre point est la suppression du méthane, 28 fois plus grave que le CO2 en terme de réchauffement, dans l’extraction pétrolière. Il pourrait être récupéré et utilisé comme source d’énergie. Pour redorer un peu leur blason, les majors n’hésiteront pas à soutenir un engagement dans ce sens.
Masdar sait à quel point les énergies renouvelables sont rentables. Les spécialistes en demandent le triplement dans le monde. C’est un objectif atteignable à la COP28, puisqu’il offre aux pétroliers une voie de diversification.
L’Agence Internationale de l’Energie demande aussi un doublement de la progression annuelle de l’efficience énergétique. Qui peut s’y opposer quand on sait que les trois quarts de l’énergie produite dans le monde sont gaspillés par des infrastructures désuètes ? Cela ne fait pas le beurre de l’industrie pétrolière, mais pourrait être une exigence des Etats qui économiseraient des milliards chaque année.
On se battra aussi à Dubaï autour des indemnités que réclament aux pays riches les pays en développement qui subissant déjà de plein fouet les effets du dérèglement climatiques. Les promesses ne se sont pas concrétisées jusqu’à maintenant. Pourraient-elles l’être au moins sous forme d‘investissements dans des infrastructures propres ?
Pendant que les pays négocient, le secteur privé et les ONGs se retrouvent aussi. La COP est un lieu de rencontre unique. Il crée des synergies, agit comme une caisse de résonance pour porter la voix de ceux qui en ont peu. Les entreprises rivalisent aujourd’hui de nouvelles solutions propres et rentables, de nouveaux débouchés industriels dans l’écologie. La protection de l’environnement devient enfin un avantage financier. On peut critiquer une foire commerciale, mais cela fait avancer la cause climatique.
La situation est trop grave pour boycotter la COP. Les absents ne pèseront pas dans la balance. Si opposition il y a, et opposition il y aura, peut-on vraiment la laisser sans contradiction ?
Ceux qui veulent tout avoir n’obtiendront rien. Peut-être qu’à Dubaï on atteindra la moitié et ce sera déjà beaucoup. Le baril ne sera certainement pas vide, mais on verra s’il est à moitié vide ou à moitié plein.
Publié pour la première fois par Le Temps, La Tribune et EFFE Verde.
Ecrit par Bertrand Piccard le 1 décembre 2023